Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Variations de regard
30 janvier 2014

Lire tout haut, lire ensemble...

L'an 1973, au mois de septembre, j'entrais en 3ème (6, 5, 4, 3, etc.) C.

Qui allions-nous avoir comme "profs" ?

C'est-à-dire, dans ma pensée la plus intime, qui allais-je avoir comme prof de français ?

Le verdict tomba, lourd, très lourd, nous allions avoir cours avec une dame (charmante au demeurant), qui me paraissait incroyablement âgée - et qui est d'ailleurs le premier professeur à m'avoir (avec les autres classes) amenée aux Midis de la Poésie - je ne sais plus à quelle occasion.

Nous avions cours le samedi matin, quatre heures, environ, dont deux heures de français, et cela allait bientôt finir pour raison de crise du pétrole, de fermeture d'établissements scolaires le samedi, et de dimanches sans voitures.

J'ai dû passer mon mois de septembre à pleurer, dans mon journal intime, sur le fait que je n'avais plus Mlle L*** comme prof de français. Je n'étais pas la seule. Une de mes amies - qui l'avait toujours eue comme prof, pleurait -tout haut, elle- du soir au matin et du matin au soir. Moi, fidèle à ma politique du "je subis en silence, parce qu'il le faut, c'est comme ça, point". J'endurais l'absence, j'écrivais dans mon journal, et j'attendais.

Et pourtant, avec celle que nous surnommions "Mouche G***", ce n'était pas la galère qu'on eût pu craindre. C'était une dame distinguée, calme, agréable, qui n'exerçait pas une discipline de fer, et n'en avait d'ailleurs pas besoin. Je ne sais plus ce que nous étudiions, avec elle, mais en tout cas, nous allions commencer la lecture de "L'Assommoir".

Un samedi matin de septembre donc, elle m'appela au tableau, je gravis la marche unique de l'estrade, je pris le livre - un Garnier-Flammarion, dans mon souvenir, et je commençai à lire tout haut. Lire était agréable. Ma voix coulait hors de moi, j''aimais beaucoup la description du "zinc" et je me souviens, dans tout ce gris de la classe du lycée, un samedi matin, des couleurs et des liqueurs qui miroitaient dans les cornues de l'Assommoir. De temps en temps, je me tournais vers le prof, et elle me faisait signe de continuer. Je continuais. Je ne sais pas combien de temps ma lecture a duré, mais j'ai aimé ça. Elle aussi, je pense. Si je disais que j'ai lu jusqu'à la sonnerie de fin du cours, je pense que j'exagérerais, peut-être, mais en tout cas, j'ai dû lire une petite dizaine de pages.

***

J'ai dû lire encore de temps en temps, au cours de ma scolarité, mais la deuxième fois où cela m'a marquée, c'est à l'Ecole Normale. Au cours de psycho-pédagogique. Comment se fait-il que j'aie été amenée à lire tout haut au cours de psycho (ou de pédagogie?) Je n'en sais rien. Peut-être était-il question de Montaigne, ou de Rousseau (L'Emile).

Mais je me souviens du commentaire de ma prof: "vous avez une bonne voix pédagogique"...

***

La semaine dernière, j'ai relu tout haut. Dans des circonstances tout à fait particulières. Quelqu'un et moi, nous lisons à voix haute, de temps en temps, un peu des Adages d'Erasme cet été, "Double assassinat dans la rue Monge" d'Edgard Allan Poe. Et maintenant, un chapitre de Montaigne - dans une édition de Gallimard traduite, dirais-je "au goût du jour". C'est-à-dire, dans un français coulant, lisible. Normalement, ce n'est pas moi qui lis. Je me concentre, j'enlève mes lunettes, je ferme les yeux, et j'essaie d'être entièrement dans ce que lui lit.  Mais là, non. J'ai pris le relais, et j'ai lu. Dans le silence. C'est un chapitre où Montaigne aborde le rapport de l'homme à la mort et à la souffrance - notamment la douleur physique.

Et dont l'absurde n'est pas exclu (exemple, un homme préfère avoir la tête coupée que d'avoir la vie sauve s'il épouse une femme boîteuse). (Personnellement, j'aurais pris la femme boîteuse, je ne sais pas pourquoi, parce que c'est tout de même reculer pour mieux sauter).

Publicité
Publicité
Commentaires
Variations de regard
Variations de regard

Quartz Rose ou pas, je suis toujours Pivoine... Me revoici, avec, pour fil conducteur, des souvenirs de Bruxelles, des balades en d'autres lieux. Donc, musardons ensemble, un peu au hasard, nous verrons bien où nos pas nous mènent

Publicité
Newsletter
Publicité