Au début de la ville, il y eut le tram
Et si un livre, un jour, m'écrivait?
Il écrirait Bruxelles, Gand, Anvers, Vienne, Amsterdam, Leipzig - et son célèbre maître de chapelle- la couleur jaune primerose, le tram chocolat, la forêt de Soignes, les phares occultés des trams en guerre, les bombardements et la gendarmerie, le tram de l'exode et la rue du Ham, les Bruxellois qui fuyaient, Dresde, Berlin, Stalingrad, Sarajevo
Tant de villes à feu et à sang.
Il écrirait le premier véhicule qui s'ébroue lourdement, entre les ruines, les piétons et les vélos, vidé de ses vitres soufflées, fracassées.
Il écrirait le tram de l'avenue Louise, le 1, le 2, le 3 et le 4, et puis mon 32 et mon 94, l'odeur des marronniers brûlés, en septembre, les courses à l'Union Economique, la maison de Marguerite Yourcenar et la rue du Bailli, le 93, un soir de mai 1985, rue Royale, arrêt Colonne du Congrès, et les sirènes de police, d'ambulance, partout dans Bruxelles, parce que le stade du Heysel s'écroulait
Et toujours, le "Cratyle", de Platon, oublié sur une tablette de tram.
Et si un jour, j'écrivais un livre sur le tram? Et si un jour, je fabriquais ce livre? Insérer photo, recadrer image, transformation manuelle, sauver le calque 1, pas de pixels sélectionnés, les bonheurs de photoshop, la photo du tram Lego, l'écriture automatique, le médecin de Woluwé, wattman par vocation et par métier, les dimanches et jours de fête,
Tout comme il y eut le canapé indiscret, il y aurait le tram standard de Bruxelles, la perche du trolley, la voie aérienne, la ville appartient aux voitures de demain, les amoureux qui s'enlacent, oublieux du monde, le fauteuil du receveur, cette ville, qui fut grise et argentée, joyeuse et paisiblement bourgeoise...
Aujourd'hui autoroutée...
Et dont, par miracle, des photographes anonymes, amoureux de ces mêmes tramways, auront conservé l'image, la trace, l'architecture, l'esprit et la mémoire.