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Variations de regard
21 juillet 2015

Rencontre... (1)

Dieux, que je suis gênée de publier un texte pareil. Mais c'est l'été et j'avais envie de me faire ce petit plaisir.

Heu, je ne conseille pas à ceux qui ne peuvent imaginer ce que c'est que la littérature sentimentale à l'eau de rose de poursuivre leur lecture plus loin... C'est carrément carré blanc sur fond blanc, mais pas pour la raison qu'on pourrait imaginer...

Est-il concevable d'écrire - sans tomber dans le poncif, les redites - quand et comment deux héros que l'on porte font l'amour. Il me revient à ce propos une réflexion de Yourcenar (oui, bon, c'est un sacrilège de l'évoquer) qui disait imaginer parfois ou souvent ses personnages (des hommes d'ailleurs) faire l'amour ensemble.

Je devrais non pas faire des livres et les relier moi-même, mais envoyer une idée ou un manuscrit aux éditions Harlequin (que je ne lis jamais d'ailleurs).

***

Je la reconnaissais bien là quand elle vint me dire qu'IL serait présent à ce vernissage où, sur ses plus vives instances, je m'étais décidée à l'accompagner.

Mon extraordinaire amie, avec sa chevelure roux foncé et les feux qui l'allument tout d'un coup, la parant, l'auréolant de lueurs vives, bleues, vertes, rouges, orange, ses vibrances et ses emportements, bref, mon contraire absolu.

Mon amie toujours partante, toujours en quête d'émotions fortes, toujours prête à tomber amoureuse, à s'enthousiasmer, et puis, cela retombe comme un soufflé, à moins que la grande passion ne la fasse décoller, jusques à quand?

Mais comment est-ce possible d'être encore si juvénile à nos âges vénérables?

Comme une affamée perpétuelle...

Note que je suis peut-être un peu de mauvaise foi. Il n'y a pas si longtemps que je me suis aussi laissée emporter par la vague. Ou était-ce naguère? J'ai si mollement résisté, jaugeant mal ma faiblesse, pour mieux tomber, et même consentir à, à... Non, je ne veux plus y penser. Me rappeler. Je ne sais pas s'il faut vivre cela une fois dans sa vie. On le dit. Ou non. Pour moi, cela s'est trop mal terminé.

Alors, j'ai repris ma vie calme d'avant, d'avant l'orage, d'avant -comment vais-je l'appeler, lui? Il me faut trouver un nom de personnage qui rappelle son origine lointaine, exotique (je sais que c'est très conventionnel, le beau slave ténébreux, mais qu'y puis-je? Il l'était vraiment, lui...) Je cherche toujours un nom, Stanislas, cela ne me plaît pas, cela fait penser à un collège parisien, cela ne lui correspond pas du tout. J'ai pensé aussi à la chanson de Marie Laforêt, "Anton, Ivan, Boris et moi", d'ailleurs, les chemins de mirabelles, cela me fait un peu penser à notre histoire. Sauf que nous cueillions les mirabelles de minuit à midi. Des sentiers nocturnes où sa voiture s'enfonçait, où nous nous perdions à plaisir, où faire l'amour à perdre haleine, de la manière la plus inconfortable qui soit, jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à traîner, des jours durant un corps perclus de courbatures.

Donc, Isabelle avait rencontré quelqu'un d'extraordinaire, me disait-elle, il l'attirait tout aussi extraordinairement, mais elle n'osait pas trop le lui faire comprendre, il revenait de NYC, ce qui me paraissait terriblement conventionnel. A l'heure où tout le monde y va comme, jadis, les pélerins du Moyen Age, à Saint-Martin de Tours.  Il avait vécu un an, deux ans là-bas, je ne sais pas trop, elle restait toujours assez mystérieuse quand elle me parlait de lui, mais elle voulait qu'un jour je le rencontre, pourquoi? Avait-elle besoin de mon aval pour non pas convoler, mais, draguer? Après tout, disons les choses assez platement, pourquoi prendre des gants? Ici, je parle pour moi-même, personne ne me lira d'autre que moi - il n'y plus guère de monde à la maison, depuis le départ des enfants.

Cela faisait donc des semaines qu'elle m'entretenait de son mystérieux artiste ou photographe (je ne sais pas très bien ce qu'il faisait, un peu touche-à-tout peut-être), mais elle était sûre de son talent et de sa réussite, j'entendais le mot "génie" à travers ses discours dithyrambiques. Elle voulait le pousser en avant, l'emmener partout, lui faire redécouvrir la capitale -redécouvrir ? Bref, elle avait fini par me convaincre de l'accompagner dans un happening mondain et bling-bling où je verrais enfin sa merveille.

De temps en temps, j'essayais de la faire revenir à la réalité.

"Et lui, que pense-t-il de tout cela? Est-ce qu'il s'intéresse vraiment à toi?" La question me semblait essentielle car, cette fois, son flou me paraissait vraiment très artistique. Bien qu'elle m'assurât que leur amitié progressait continûment.

"En vérité", finit-elle par avouer, "je ne sais pas trop... Il est seul, il me l'a confié, par choix ou par fatalité, et cela semble incompréhensible, pour le premier venu. Ou alors, il a une vie cachée". Tout était possible. J'étais intriguée, mais pas trop. Isabelle était tellement coutumière de ces emballements qu'elle négligeait même de s'assurer de leur réciprocité. Toutefois, j'avais l'impression, que cette fois, elle était vraiment dans l'indécision. Voilà pourquoi elle voulait mon avis, m'assurait-elle. Confiante dans ma sagacité (qui n'est qu'apparente, la pauvre, si elle savait!) et mon sens de la mesure, elle pensait que je lui dirais assez vite s'il y avait des chances que son phénix s'intéresse à elle autrement qu'en mécène ou en amie mondaine.

Voilà pourquoi, sur le coup de dix-neuf heures, je me trouvais dans une salle noire de monde, aussi noire que moi d'ailleurs. En effet, pourquoi me serais-je mise en couleurs alors que je me sentais un peu mal à l'aise, je dois bien l'avouer, de renouer avec un univers dont je m'étais tenue volontairement éloignée. Il me rappelait par trop Celui (il me faut bien mettre une majuscule), que j'avais aimé follement, inconsidérément, avant l'effondrement final de notre liaison et son éloignement. Bien plus tard, et après le départ des enfants, de guerre lasse, j'avais fini par renouer avec Pierre, mon vieil ami, qui inspirait tellement la sécurité et qui était depuis si longtemps imbriqué dans mon existence. Que tout le monde appréciait. Et qui m'aimait. Au point de vouloir se marier avec moi, qui n'avais aucune envie de m'engager aussi profondément avec qui que ce soit. Je veux mon ami Pierre.

Ou plutôt, mon ami Pierre voudrait de moi et moi je ne le veux pas. Une histoire vieille comme le monde.

Pierre nous accompagnait, ce soir-là. Je me demandais, si, à force, je ne finirais pas, une bonne fois pour toutes, par agréer  sa demande. Je méditais, une coupe de champagne à la main (ou de ce qui en tenait lieu), les extras passaient, chargés de plateaux sur lesquels il fallait faire semblant de ne pas se ruer, les salles étaient tellement noires de monde que l'on n'apercevait rien des oeuvres exposées. Comme tout le monde, je dirais, tout à l'heure "il faudra revenir après le vernissage" et comme souvent, en pareil cas, je n'en ferais sans doute rien. Je vis enfin Isabelle se faufiler entre plusieurs groupes pour tâcher de parvenir jusqu'à moi. Son verre oscillait dangereusement dans sa main et de l'autre, elle me faisait signe. Ses sequins verts reflétaient les mille feux de l'endroit et l'on se retournait sur son passage. C'est vrai qu'elle était belle. Nous formions un curieux contraste, moi, la grande blonde en noir, toujours un peu endeuillée, sur qui personne ne se retourne (et tel était mon voeu), elle, la grande rousse qui s'habille en vert parce qu'on associe presque toujours toutes les nuances du vert aux rousses flamboyantes.

Enfin parvenue près de moi, nous trinquâmes. Et elle dit enfin, "il est là. Je vais enfin pouvoir te le présenter".

"Où cela donc?" lui répondis-je, très calme.

"Là-bas, dans l'autre pièce. On va devoir tout retraverser... C'est OK pour toi?"

"C'est OK" soupirai-je.

Et nous entreprîmes le périlleux voyage à travers la foule. Je souriais à quelques personnes de connaissance et suivait ma clinquante amie. Enfin, elle se retourna légèrement et me désigna un groupe lointain dont je ne perçus tout d'abord que des dos. Des dos en noir, bien sûr, ce qui ne m'aidait pas à distinguer qui que ce soit. Je plissai légèrement les yeux. C'est alors qu'au-dessus d'un dos, je vis ces cheveux blond-brun-chaud bouclés, un peu trop longs, des cheveux qui me rappelaient quelqu'un, la forme d'une tête que je connaissais, que je ne pouvais manquer de reconnaître. Non, ce ne pouvait pas être possible. Il était loin. Ne m'avait-il pas dit qu'il partait pour cinq ans au moins? Ce ne pouvait être lui. Quelque chose se creusa violemment en moi, la panique me fit inspirer et expirer sauvagement, et je cherchai de l'oeil un plateau de champagne dont je pourrais vider quelques verres pour me calmer. Mais nous progressions et Isabelle, se tournant de nouveau vers moi, murmura -pour ne pas être entendue- "regarde, les cheveux blond-brun-chaud bouclés, là-bas, un peu trop longs, bien sûr, mais ça lui est égal, c'est lui..."

Fatalité grecque.

Je le vis, je rougis je pâlis à sa vue un trouble s'éleva dans mon âme éperdue, je reconnus Vénus et ses feux redoutables d'un sang qu'elle poursuit tourments impitoyables.

C'est toujours dans ces moments-là qu'un souvenir scolaire me revient, un vers, un poème, quelques strophes, parfois erronées, mais jeune, Phèdre m'avait tellement impressionnée. Si l'ami d'Isabelle ressemblait si fort à Lui, qui était-ce?  La fatalité grecque et l'inéluctabilité des choses qui sont en marche, qui seront, me poussaient en avant, maintenant, alors qu'elle filait devant moi, me laissant un peu en arrière et follement désireuse de rebrousser chemin. Elle traçait son sillage jusqu'à un dos, l'effleurait, l'appelait, lui parlait à l'oreille, et il se tournait alors, et de loin, je le voyais, et c'était lui, l'ami d'Isabelle, l'homme dont elle m'entretenait depuis des semaines, c'était Alexis, ou Stanislas, ou Anton Ivan Boris et moi, ou encore l'ami de mon fils, l'amant d'avec qui je m'étais séparée. Dans une autre vie.

Sans fracas, mais sans retour. Et il ne me voyait pas encore. J'avançais tout en me cachant. J'avançais d'un pas, et mentalement, je reculais de deux. Pourtant, un moment, deux groupes de personnes s'écartèrent devant moi, et... Arrêt sur image. Il est tourné vers moi, Isabelle est gaie, rouge, bavarde, mais lui a suspendu son geste. Je continue d'avancer, comme dans un rêve, et comme dans un rêve, je me dis que la scène va changer, se muer en un autre tableau démesuré, disparaître, pour me laisser sur la rive du réveil, essoufflée et rassurée. Non. Ce n'est pas un rêve, pour une fois, c'est la réalité. Il m'a vue et je l'ai vu, nous nous regardons, et le bouleversement s'empare de moi. Il faut juste que cela ne se voie pas. Qu'Isabelle ne devine pas. Pas encore. Elle sait que j'ai aimé quelqu'un, que cela n'a pas "marché", mais je suis toujours restée dans le vague. En même temps, chacun de mes gestes, le mouvement des jambes, des bras, la progression, ma robe noire, mes hauts talons, mes cheveux blonds, c'est comme si je voyais tout d'en haut, comme si je regardais un film, comme si la pièce devenait désert autour de moi. Et je suis devant lui. Aussi creuse qu'un entonnoir où tout se serait englouti, tourbillonnante et vague, déjà sur le flanc du volcan.

Je suis là, maintenant, près d'eux. Il ne dit rien, me fixe. Isabelle, seule, parle, s'exclame, inconsciente de notre sidération mutuelle. J'entends pourtant les phrases gaies, la présentation, et je tends la main, et il la prend et là, je le retrouve, au lieu de serrer ma main, il l'élève légèrement jusqu'à lui, se penche, et l'effleure d'un baisemain. D'un autre âge. Il s'attarde. Il conserve ma main dans la sienne, j'ai l'impression d'être vermillonne, mais je n'ai aucune envie de lui retirer mes doigts, maintenant qu'il est là, non, vraiment, je ne puis plus m'enfuir. Tout d'un coup, je perçois qu'Isabelle reste interdite, muette à son tour.

Et comment ne le serait-elle pas devant ce baisemain plus long que ne l'a jamais exigé quelque coutume que ce soit?

Et enfin, il parle, il se tourne vers mon amie, et souriant, déclare:

"Merci Isabelle. Christine et moi, nous nous connaissons depuis longtemps..."

Marie-Christine Barrault dans

Marie-Christine Barrault

paulbettany

Paul Bettany

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Commentaires
Q
Anémone, j'ai plutôt pensé à des têtes et des acteurs qui me plaisaient. Curieusement, le "pitch" de cette histoire existe, mais moi j'en fais un roman... Et bizarrement, c'est devenu la trame d'un film italien de 2009, "Io sono amore"...
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P
lol, comme il est dans ma tête, tu le rencontreras mercredi, en train o:))) (je rigole!)
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A
Moi non plus je n'ai jamais lu d'Harlequin, mais je doute fort qu'un seul d'entre eux soit si magnifiquement écrit. <br /> <br /> Bravo, ce fut un grand plaisir de lecture. J'ai dévoré avec joie ce texte flamboyant comme la chevelure d'Isabelle, et délicat comme le coeur et les désirs de Christine. Mais attention... un tel homme... s'il n'était pas destiné à Christine, j'accours;) ;) !
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Q
Ah! Je vais continuer alors, ici, je suis à la fin de mon histoire... Mais je peux faire un flash black, enfin, plutôt un flash back. Finalement, (bien que je porte cette histoire et ces personnages depuis longtemps), cela ressemble furieusement au "pitch", de "Amore", le film avec TIlda Swinton qui est sorti il y a deux ou trois ans (ou un peu plus).
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Q
Eh bien, j'ai une "amie", qui me disait que chaque fois qu'elle allait à NYC (c'est comme ça qu'on dit apparemment), elle allait voir le Carré blanc sur fond blanc (qui avait fait couler beaucoup d'encre en son temps sur les samedis du Défi o;) (Bon, elle aime l'art et elle va voir les musées). Mais pour les personnes friquées (ça existe apparemment), on va une semaine à NYC, mais je ne suis pas sûre qu'on aille beaucoup visiter le Metropolitan ou autres... C'est aussi pour pouvoir dire qu'on est allé à New York. Bon, j'aurais les moyens, j'irais peut-être (en bateau plutôt o:))) mais ce qui me plairait le plus, c'est le Vermont, la campagne, les grandes étendues, la traversée des Rocheuses, la route 66? Le sud? Savannah? Comme dans "Minuit dans le jardin du bien et du mal" ?
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Variations de regard
Variations de regard

Quartz Rose ou pas, je suis toujours Pivoine... Me revoici, avec, pour fil conducteur, des souvenirs de Bruxelles, des balades en d'autres lieux. Donc, musardons ensemble, un peu au hasard, nous verrons bien où nos pas nous mènent

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