Au retour
Pour Lakévio.
Au retour, ils s'arrêtent au théâtre d'Autun.
Ils terminent leur périple en visitant la Bourgogne. Soirées au coin de feu, menus de fête, ballotines de volaille au brochet, sauce Nantua, montagnes de bugnes... Lyon n'est pas loin. Quand il mange, joyeux, elle le regarde. Mincir, surtout, pour rester belle. Le fasciner, le garder, être juste intéressante. Et puis se promener. Le temple de Janus, la cathédrale, la Vierge polychrome, les bois d'Autun, Bibracte, inoubliable, les vieilles pierres, les déclinaisons le latin, les cas particuliers, les prépositions et l'ablatif absolu...
Ils se sont connus sur les strapontins de la faculté. Ils se sont passé leurs notes, ils ont étudié ensemble et chacun dans son coin, ils ont répété les oraux, testé les choix multiples. Ils sont enfin agrégés. Ils ont cherché une maison, se sont pacsés, et voilà qu'on l'envoie, lui, dans un lointain département, juste pour un remplacement, et elle dans la région, pas loin, pas assez loin, et là où elle a toujours vécu.
Alors, elle regarde ces ruines avec un goût d'au-revoir. La semaine, il sera là-bas, dans le comté de Boulogne, et elle restera ici, cet ici qu'elle connaît par coeur. Parfums d'iode pour lui, odeur de terre pour elle.
La nuit, elle sentira la place abandonnée en tâtant le satin glacé des draps. Et elle soupirera. Le jour, elle sera dans une salle de classe. Vingt-cinq adolescents essaieront de traduire Virgile, Tacite, la mort de Britannicus, le poison dans l'eau glacée, l'enterrement nocturne et les ombres du forum romain, Lucrèce, César... A son tour, elle les emmènera dans ces lieux de mémoire qu'elle connaît par coeur.
Bientôt, l'automne sèmera ses fleurs rousses sur les routes, avec des éclats de lumière dorée, si octobre est mallarméen; avec un craquement de galettes émiettées en novembre; ou dans un silence ouaté, quand il neigera...
***
Il la regarde, attentif. Son profil tout en finesse, son regard mélancolique, ces gourmandises qu'elle se refuse.
Et il a envie de l'emporter, loin, dans la forêt, pour qu'elle cesse de fixer cette pierre.
Car lui, il a envie d'elle. Tout simplement. Envie de ses lèvres, de sa chevelure en peine, de ses yeux noyés de rêve, du frémissement dont elle se défendra, jusqu'à céder, dans un soupir; d'une peau que l'on caresse sous le pull soyeux, de tout un joyeux désordre de vêtements, dans les sous-bois, les sous-bois mouvants au parfum de champignon, les sous-bois où l'on s'endort volontiers à deux...
En ayant un peu froid...
Juste assez pour éprouver l'envie d'une douceur de laine sur soi,
Et juste assez pour sentir combien l'on existe.