Conte du lundi 77 (Lakévio)
Pour Lakévio, le conte du lundi, d'après un tableau du vendredi, et le gentil devoir du week-end o:)
C'est vrai que longtemps, je me suis couchée de bonne heure...
Normal, en septembre, avec la rentrée, et quelques jours plus tard, mon anniversaire, nous entrions de plain pied dans l'automne et l'année scolaire - ou académique...
Et tout soudain! Bruxelles et ses marronniers! Ô Bruxelles et ses marronniers...
"Le vent prend la place des promeneurs et joue avec les feuilles mortes, les automobiles vivantes.
Je n'ai garde d'oublier les marronniers de cette avenue, que l'on ne saurait trop aimer.
Ils respirent de toutes leurs forces, ils tiennent de la place,
ils sont à Bruxelles ce qu'est la Seine à Paris, le Vésuve à Naples.
Beaucoup de Bruxellois ne l'ont jamais su."
Odilon-Jean PERIER (Bruxelles, 1901-1927),
"Lettre ouverte à propos d'un homme et d'une ville", (Sang Nouveau, 1933).
Dans le jardin de la maison, rue Van Eyck, il n'y avait pas de marrons. Ni d'Inde ni de châtaignes. Mais des noisettes, oui. En abondance. Et des poires non comestibles. Il fallait absolument ramasser les poires, énormes, et aller les mettre "au compost", sinon, l'hiver venu, on s'enfoncerait dans la neige et les poires en décomposition.
Avenue Louise, les trams freinaient dans un grand crissement de roues et de feuilles brûlées, dont je sens encore l'odeur, qui me transportait. Les coques de marrons éclataient, les bouquets de feuilles volaient, l'avenue était dorée, mordorée, et le tram, jaune et bleu, filait dans une grande envolée de parfums, de branches et de poussière.
A l'école aussi, il y avait des marronniers. Mais dans le jardin côté humanités. On ne pouvait pas y aller, sauf exception. Et avec nos institutrices. Dans notre cour de primaire, il y avait par contre un châtaignier et des petits poiriers. C'est dire que les marrons qui arrivaient jusqu'à nous étaient denrée rare et, donc, objets d'âpres disputes. Ils servaient aussi aux leçons de choses, ou même à l'arithmétique, par le biais de colliers de diverses tailles.
Aujourd'hui encore, à la mi-septembre, quand je pénètre dans la cour de l'Ecole des Arts, je tombe en arrêt devant les marrons jonchant le sol, en abondance. Je ne puis m'empêcher d'en ramasser. Ils sont beaux, lisses, brillants, un peu humides, légèrement nervurés, mais d'ici quelques semaines, ils finiront par se dessécher.
Notre prof d'infographie, qui est drôle et voit des visages partout, dans les bananes, les fraises, les verres de bière, les crêpes et les oeufs sur le plat... Dessine deux yeux, une bouche et pose un marron sur le haut de nos écrans. Petit cadeau d'automne.
Et l'on se met à l'ouvrage, tandis que l'équinoxe de septembre souffle dans la cour. Sur nos écrans s'élaboreront lentement images monochromes, drapeau belge en 2029, petit livre rouge, livre bleu et noir, images détournées... Nous aurons de quoi nous occuper. A 21 heures passées, lorsque la sonnerie de l'école retentira (bruit aussi délicieux à mon oreille que les marrons de mes souvenirs), le concierge de l'académie viendra nous rappeler à l'ordre. En bermuda et tee-shirt, il se pavane et prestement, on remballe tout, clés usb, impressions, livres, feuilles de peinture.
Puis l'on s'engouffre dans la cour noire. Dans la froide nuit anderlechtoise...