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Variations de regard
23 octobre 2017

Le dernier Eté

Cela s'intitule "Le jeu des Papous n° 2"... Chez Lakévio. Et cela se corse nettement...

Il s'agit de placer plusieurs mots dans notre texte... Aussi judicieusement que possible, et sans accord ni conjugaison.

Espérons que je n'aie rien oublié !

francis coates jones

Francis Coates Jones

***

Dans le grand salon, la pianiste jouait à présent un air échevelé.

Suzanne pensait, en écoutant la mélodie, à une fleur d'hortensia, épanouie, puis écartelée après l'orage...

Les femmes devaient valser au bras de leurs cavaliers, en une immense corolle foisonnante.

Malgré son air sage et tranquille, Suzanne, treize ans dans quelques semaines, aimait ce qui est foisonnant, fou, coloré, mordant... Les ciels violine, les plates-bandes multicolores, les romans d'aventures. Elle aimait la mer en colère, la montagne sous la neige, la lave en fusion et la vaste nuit dans le Parc.

Plus tard, c'est sûr, elle serait exploratrice. Et même, pourquoi pas? Elle volerait peut-être un jour !

Déjà, elle aimait ramer avec force. Elle préférait plonger dans les flots - ses frères aînés lui avaient appris à nager très tôt - que de sagement barboter dans les mares, après quatre heures, protégée par sa vieille bouée ornée d'un petit canard...

Un jour, comme on se libère, elle l'avait passée à sa petite soeur, bien heureuse de se débarrasser. 

Sachant sa passion des couleurs, ce jour-là, on lui avait donné pour mission de parer la maison de bouquets. Elle s'entendait bien avec le jardinier, qui lui apprenait les fleurs, les arbustes, et même les herbes à tisane, au parfum miellé, qui attirait les abeilles. Le tilleul mordoré, devant la maison, donnait des feuilles et des fleurs exquises, lorsqu'elles fumaient le soir, dans les  tasses de vieux Chine aux anses bleues.

Et puis, elle avait commencé un herbier. Elle se rendait souvent dans la bibliothèque, à la recherche de "son" dictionnaire des plantes, ou d'encyclopédies aux belles reliures de veau coloré, dans les hautes vitrines.

Elle lisait, là, jusqu'au crépuscule parfois, demandant à la lampe, sur la grande table, d'éclairer les gravures, les mots... Même les mots latins qu'elle mémorisait sans en connaître encore le sens. Mais la musicalité des sons lui "parlait", devenait "son" langage. Et puis, cette année, elle le savait, elle apprendrait le latin.

Elle songeait à ce plus tard, si proche.  Les vacances de cet été fou prenaient fin dans une avalanche d'après-midi dansantes, de réunions d'amis, de piques-niques dans les environs... Souvent, elle était admise dans le groupe des grands. Elle se faisait toute petite, pour ne pas gêner. C'eût été affreux d'être ramenée dans la grande maison, solitaire - même s'il y avait la bibliothèque...

C'eût été affreux, oui, de manquer cette fête à son paroxysme.

C'était déjà assez pénible de se dire que d'ici une semaine, c'en serait fait de ces vacances inoubliables.

Elle retournerait en pension. Encore une année de pension. Bien sûr, elle apprendrait le latin... Bien sûr, il y aurait un parc. On disait que les professeurs de la Maison de Fontainebleau, une ancienne Maison religieuse tenue aujourd'hui par des professeurs laïcs, était une excellente école. Et puis, Maman connaissait la Directrice, Mademoiselle Marie, et plusieurs professeurs.

Elle verrait bien.

Mais en attendant, sans s'apercevoir que, trop absorbée, elle avait déchiqueté le coeur d'une fleur, elle continuait d'assembler ses bouquets... La prochaine fois qu'elle pourrait recommencer à respirer le parfum de vacances de la grande maison familiale, ce serait...

L'été 1914 !

Mon Dieu ! Pensait-elle... Qu'on y soit vite !

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Commentaires
A
J'ai adoré ton texte, qui semble faire partie d'un roman... que tu auras peut-être envie d'écrire :) Bravo chère Pivoine! Un régal qu cette lecture <3
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Q
L'idée de l'été suivant - 1914, m'est vraiment venue à la fin ... Comme quoi, un texte, il faut se laisser guider par lui...
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P
Tu deviens la spécialiste des chutes..... c'est un très beau texte, on se laisse bercer par les mots et la lecture et puis....boufff
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T
Agréable lecture, très beau texte.
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C
Joliment bien troussé, Pivoine...<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Tu as composé ton texte en pianiste, pour un résultat beau comme un hortensia en automne.Rien de pénible à lire, rien de mordant, au contraire, tu as su éclairer ton texte en te servant habilement des mots les plus beaux comme les plus affreux et sans la bouée de sauvetage du dictionnaire. <br /> <br /> <br /> <br /> ¸¸.•*¨*• ☆
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Variations de regard
Variations de regard

Quartz Rose ou pas, je suis toujours Pivoine... Me revoici, avec, pour fil conducteur, des souvenirs de Bruxelles, des balades en d'autres lieux. Donc, musardons ensemble, un peu au hasard, nous verrons bien où nos pas nous mènent

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