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Variations de regard
28 juillet 2018

L'été 1969...

J'allais avoir douze ans en septembre. Je venais de terminer mes primaires - et l'examen "diocésain", (propre à l'enseignement catholique), avec un brillant résultat en français et un résultat honorable en maths. Mon frère, lui, continuait ses études d'horticulture. Ma mère était "mère au foyer", c'est-à-dire qu'elle était là, pour le goûter, à notre retour de l'école, goûter qu'elle qualifiait volontiers de "Louis Quatorzième". Puis elle surveillait mes devoirs et mes leçons. Et le soir, elle préparait le souper. Mon frère parlait pas mal, les parents l'écoutaient, et je m'occupais de mes tartines.

Entretemps, elle "vaquait à ses occupations" je suppose. Mais lesquelles?

La plupart des pièces de la maison étaient fermées. J'adorais me proposer pour faire les petites courses dans le quartier. Si elles étaient trop importantes, je les faisais avec mon frère. Pendant la longue période où notre machine à laver a été en panne, le linge était mis à tremper dans des bassines "de chez mes parents", en attendant le dimanche.

***

Un changement professionnel radical attendait mon père, mais je ne puis le situer dans le temps. Il allait quitter Bruxelles (mais pas la société pour laquelle il travaillait) pour la Flandre (avec apprentissage obligatoire du néerlandais à la clé, formation en comptabilité industrielle, une promotion et... La route Bruxelles - Anvers deux fois par jour).

Cet été-là, mes parents avaient choisi de louer un chalet, dans un camping assez populaire, dans une ville aux abords de l'Eau Blanche, l'Eau Noire et du Viroin. Ma mère avait coutume de dire "L'eau blanche, c'est avant votre passage..." et "L'eau noire, c'est après". J'ai toujours vécu avec la honte de me sentir "pas assez propre" et, du coup, comment expliquer ça? Des tas de sentiments contradictoires vis-à-vis de tout ce qui avait trait à la toilette.

Le début de ces vacances ne fut pas follement gai. Le matin, j'étais seule, je pateaugeais dans une des deux Eaux (la Noire sans doute...), j'essayais de rencontrer des enfants, (dont ma mère se moquait), mon frère étudiait sa botanique et ses maths... Ma mère se plaignait de nos querelles (mais nous querellions-nous tant que cela? A onze et dix-huit ans?), puis, elle faisait sa sacro-sainte sieste et à quatre heures, nous allions acheter des "couques", puis nous partions en balade dans différents endroits que nous aimions bien : le Fondry des Chiens, la Roche à l'Homme, et une colline qui faisait penser à certains paysages du Congo.

Le dimanche, mon père venait passer le week-end avec nous, en attendant de venir nous rejoindre définitivement, à la moitié du séjour. Après la messe, on achetait un poulet et des frites et, puis, soit on partait en promenade, soit on faisait une excursion.

Malgré les promenades, le poulet-frites et les excursions, et même si j'ai aimé ce pays de Nismes, je n'étais pas heureuse. Ma mère n'était pas gaie. Sérieuse. Ou se plaignant de nous. De l'absence de mon père. Ce n'est que hier que je me suis posé pour la première fois la question de cette semi-absence. Quelle qu'en ait été la raison, professionelle ou autre ou les deux (ce qui est possible), entre les vacances précédentes où nous étions allés dans les Alpes (plutôt gaies), et celles de l'année suivante, qui ressembleraient assez à celles, vraiment peu érotiques, de 1969, l'ambiance familiale n'était pas au beau fixe.

Mes parents s'étaient beaucoup disputés, des années auparavant... (J'écoutais le murmure de leurs voix, longtemps, longtemps), mais la journée, ma mère restait muette, sauf quand, tout à coup, alors que nous écoutions la radio, elle avait une crise nerveuse. Même si elle faisait tout ce qu'il y avait à faire, elle n'était pas heureuse.

Quelqu'un m'a dit l'autre jour: "votre mère était présente physiquement, mais son esprit était ailleurs." Il l'était ailleurs depuis longtemps, depuis toujours. Son esprit n'a probablement jamais quitté le Vivier d'Oye, ses parents, ses grands-parents, tout le décor de son enfance et de sa jeunesse (même perturbée par la guerre). C'était une dépressive chronique, une grande anxieuse (là, il m'est difficile de dire quelque chose, je connais d'autres grands anxieux o;), c'était une mère présente physiquement - et qui faisait même des choses pour nous (comme de m'accompagner presque tous les jours à une plaine de Jeux), mais jamais, jamais, quoique j'aie pu faire, je n'arriverais ni moi ni mon frère ni mon père, à combler ce vide, cette absence, cette béance qui l'habitaient. Et où s'étaient engouffrés tous les siens.

Alors nous? Que pouvions-nous faire? Mon père a probablement pris la décision de tout miser sur sa vie professionnelle... D'où son "évaporation" les dimanches, quand nous partions nous promener... Et plus de samedis où nous allions nager... Et même quand il était là, en vacances, près de nous, arrivait-il encore à mettre un peu de joie dans cette famille en suspens?

A la fin de l'été, nous sommes partis une semaine à la mer. Ma mère est partie avec ses vêtements déchirés ou décousus... Car tous les jours, je la voyais avec ses vêtements usés et décousus, rarement raccommodés... Et un ouvrage, un sac de gym (modèle de Modes & Travaux pour un sac de gymnastique), qu'elle s'était promis de réaliser pour ma rentrée.

Je suis partie avec mes valises pleines de Francie, Skipper et de leurs vêtements... Et je n'ai pas eu l'impression de beaucoup m'amuser. Onze, douze ans... Mauvais âge, mauvais souvenirs.

Je n'étais pas seule, puisque j'avais des parents et un frère. Mais je me sentais seule. Donc, virtuellement, je l'étais. Durant les longs moments où je comblais ma solitude en lisant. En dessinant. En faisant des essais d'écriture (ou tout au moins, en imaginant l'histoire des personnages que je dessinais), je jouais avec une balle de tennis, seule. Je sautais à l'élastique, seule... Etc. Etc.

Par contre, je ne l'étais pas à la plaine de jeux. Là, je jouais avec des enfants du quartier - qui ne fréquentaient pas le Sacré-Coeur d'Ixelles. Et parfois, mon frère m'emmenait chez son meilleur copain, un original qui élevait des caméléons, une salamandre, des orchidées, des souris blanches... Et parfois, ses parents rencontraient nos parents.

A part eux et de temps en temps ma tante et mon oncle (du côté paternel), nous ne voyions personne.

Mes parents n'avaient pas d'amis. Ma mère avait rompu avec sa meilleure amie, et, pour faire bonne mesure, mon père avait dû abandonner les siens.

photo de classe de 1968

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Commentaires
P
En vacances normalement ça pouvait aller. Cela dépendait de l'endroit où on allait. Ce fut sans doute une mauvaise année.
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A
Présente physiquement, et pourtant absente: oui, cela et sans doute bien décrit et difficile à vivre pour des enfants qui le perçoivent sans pouvoir y mettre des mots. Chez moi on ne voyait personne non plus. Pendant l'année l'ambiance n'était pas toujours terrible mais en vacances cela allait.
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P
Lol... l'eau grise...
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P
Nuages... ce fut sans doute le cas de plus de personnes qu'on se l'imagine. Avec des variantes. Avoir un frère (ou une soeur), d'un côté il y a des moments gais... on chante ensemble on va au cinéma... Mais quand il y a une grande différence d'âge ? Parfois ce n'est pas <br /> <br /> C onfortable non plus<br /> <br /> ..
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N
Ah tiens, le Viroin aurait pu s'appeler l"Eau Grise aussi (Eau Noire + Eau Blanche).
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Variations de regard
Variations de regard

Quartz Rose ou pas, je suis toujours Pivoine... Me revoici, avec, pour fil conducteur, des souvenirs de Bruxelles, des balades en d'autres lieux. Donc, musardons ensemble, un peu au hasard, nous verrons bien où nos pas nous mènent

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