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Variations de regard
21 janvier 2019

Chez Lakévio, le conte du lundi...

C'est chez Lakévio, comme chaque lundi... Une consigne, un tableau et un texte...

luigi zucchero

Espérant ne pas plomber un peu plus l'ambiance, je vous propose le devoir d'étoffe, (intégrer la citation suivante dans votre texte).

Extrait d'une lettre de Vincent Van Gogh. (Lettres à son frère Théo de Vincent Van Gogh)

"Au lieu donc de me laisser aller au désespoir, j'ai pris le parti de mélancolie active pour autant que j'avais la puissance d'activité, ou en d'autres termes j'ai préféré la mélancolie qui espère et qui aspire et qui cherche à celle qui, morne et stagnante, désespère."

***

Cuesmes, près de Mons, Belgique,

hiver 1880.

Lieve Théo,

Voici un compte-rendu fidèle, ou plutôt, honnête et lucide, de ces derniers jours. L'hiver dans le Borinage est, cette année, relativement clément. D'après les paysans et ouvriers, mineurs, hiercheuses et femmes au teint gris, enfants pâlots, sans même le chaume blond des nôtres, que je rencontre le dimanche, lorsque chacun sort de la maison.

Aujourd'hui, il a fait plus froid, mais il a aussi fait plus ensoleillé, et sec. Ce matin, tôt, enfin... Tôt, de plus en plus tôt, il y avait même un peu de givre dans la campagne. Ce n'était pas le givre étincelant du lendemain de noël, mais ce n'était pas le ciel gris plombant de ces derniers jours, la boue, les feuilles pourrissantes au bord des mares non plus.

L'hiver est clément donc, mais il n'est pas gai. La fin de l'automne, le début de l'hiver, janvier et février sont rarement gais, par ici. Si gris! Si sombres! On dirait que cela ne va jamais finir. Mars ne vaut guère mieux, avec ses giboulées, et pour le reste, on ne sait pas. Et puis, les ailes des moulins me manquent... Les ailes des moulins versus le carreau de la mine ! Et l'air sauvage et méfiant de tout le monde, par ici.

Je cherche quelque chose que je me désespère de trouver. Malgré tout, les mines sont moins inquiétantes qu'au début de mon séjour. Et si je les laisse tranquilles, et que je dessine, cela leur plaît. Parfois, quelques "manneken" prennent même un bout de fusain charbonneux, et imitent ce que je fais. Pendant que je les regarde, je ne réfléchis pas.

Ca, c'est quand cela va... Mais j'avoue que le temps me dure. Le début des journées est vivable. Après le café bouillant, et le sucre, même un peu humide. Le pain avec du saindoux... Le lard dans la poêle, et les inévitables pommes de terre, je me sens prêt pour la journée. Mais s'il fait gris, je reste à l'intérieur, trop longtemps à l'intérieur. Je ne sais à quel moment le sentiment d'avoir perdu ma journée me terrasse, avec le regret aigu d'être venu m'enterrer ici. Je pense à Paris, lumineux de ses mille lampions, à toi, à ta maison, aux guinguettes, et qui sait, aux ateliers d'artistes dont tu évoques la chaleur. Et, peut-être à d'autres contrées, encore plus accueillantes. Ces jours-là, je suis dévasté. Envie de rien. Vraiment de rien. Ce sont des moments où je suis devant ce choix crucial... Me laisser aller, abandonner, m'étendre, boire, non pas du café bouillant, mais une goutte, puis une autre... Me sentir envahi par la torpeur. Attendre que les heures passent. Désespérer d'avoir si peu de compagnie...

Nous connaissons l'engrenage par coeur. Une fois qu'il est lancé, il semble que rien ne puisse l'arrêter.  Et je te vois d'ici branler du chef. Et donner raison à notre père.

Enfin, l'autre jour, je suis tout de même sorti. Pas longtemps, pas loin. Il y a quelques étangs, dans la région. Il suffit parfois d'une trouée de lumière, d'un soleil rasant l'eau, d'un jaune tirant sur le vert, d'une atmosphère. Même les terrils semblent revêtir une sauvage beauté. Et je me dis que l'hiver ne sera pas éternel... Alors, tu serais content, Théo, je rentre chez moi, et "je me force"... Je me force à ranger cette chaumine. J'accueille ceux qui viennent frapper à ma porte. Et un mouvement en amenant un autre, je me "mets en route". Les pensées noires reculent, même si je sais qu'elles restent là, derrière ma tête, tapies, mauvaises, prêtes à me souffler ce qu'il ne faut pas entendre. Ce que je ne voudrais pas entendre.

Tu seras content de lire, j'espère, qu'au lieu donc, de me laisser aller au désespoir, j'ai pris le parti de mélancolie active, pour autant que j'avais la puissance d'activité, ou en d'autres termes, j'ai préféré la mélancolie qui espère et qui aspire et qui cherche, à celle qui, morne et stagnante, désespère.

Je t'embrasse, lieve Théo. Un jour, je l'espère, un jour nous nous reverrons, un jour, un jour, peut-être que tout ce que j'aurai accumulé d'expérience ici sera le ferment d'une autre aventure. Je l'espère de tout coeur et je prie pour cela.

Ton frère qui t'aime.VVG

 

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Commentaires
P
Heure Bleue et le Goût je suis contente de vous revoir :-) merci le Goût mais ;-) faut pas être jaloux ;-))) <br /> <br /> Au fait as tu chaussé tes patins ce matin ? ;-)
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A
Je ne connais pas la correspondance que Vincent a échangé avec son frère, mais ce texte cadre bien avec l'image que l'on a du peintre : ses crises, ses zones d'ombre, mais aussi ses fugitives et géniales illuminations.<br /> <br /> Très réussi !
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L
Tu sais que c'est super bien ce que tu écris ?<br /> <br /> Je sais que c'est pas bien mais je suis jaloux de ton talent...
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H
De retour, je lis ton texte et je suis sous le charme, tu as fait un devoir excellent.
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P
Dû y arriver. Moment de grâce :-) <br /> <br /> <br /> <br /> Mais j'aime bien les choses plus gaies aussi. <br /> <br /> <br /> <br /> Parfois j'oublie de mettre le lien vers mon blog. Je ferai attention.
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Variations de regard
Variations de regard

Quartz Rose ou pas, je suis toujours Pivoine... Me revoici, avec, pour fil conducteur, des souvenirs de Bruxelles, des balades en d'autres lieux. Donc, musardons ensemble, un peu au hasard, nous verrons bien où nos pas nous mènent

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