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Variations de regard
9 mai 2022

122ème conte du Goût des autres.

C'est dimanche (et demain lundi, donc), jour de conte...

rue des Degrés

Vous est-il arrivé d’emprunter une rue aussi courte que la « Rue des Degrés » ?
J’espère que vous avez une histoire pas trop brève à raconter sur une rue brève.
J’aimerais aussi que cette histoire commençât par :
« Hier, il ramassait les miettes de pain tombées sur son pantalon, par terre, en faisant des efforts énormes. »
Et qu’elle finît par :
« Nous étions debout sous la pluie, parmi les provisions de bouche. »
À lundi donc, si vous voulez…

***

"Hier, il ramassait les miettes de pain tombées sur son pantalon, par terre, en faisant des efforts énormes."

J'étais sortie du bureau avec une assiette de sandwiches qu'on nous avait abandonnés, au terme d'une ènième journée de rencontre avec les autres associations du mouvement dans lequel je travaillais.

Je ne monte jamais seule les escaliers de la rue des Degrés, même si cela m'épargnerait de continuer à marcher jusqu'à l'angle de la rue de Cléry, qui d'ailleurs n'est pas très engageante, puis d'obliquer dans la rue Beauregard. Il y a souvent un ou deux ou trois sans domicile fixe, dont la misère me brise chaque fois le coeur. Mais cette fois, Emilien était venu m'attendre à la sortie du bureau, on allait faire un tour, avant de reprendre le métro et de rentrer chez nous. Et donc prendre le raccourci par les escaliers. A deux, on ose...

Qu'allions-nous faire de ces sandwiches? Les manger, me direz-vous. Il y en avait au pain de viande, avec des crudités, au jambon et au fromage, également avec des crudités... C'était rare, d'ailleurs, que nous mangions des sandwiches, et certainement au jambon, ou alors de dinde... En général, on avait droit à un petit buffet "muticulturel". J'emploie le terme de multiculturel parce que c'était le thème de la journée que nous avions organisée autour de nos projets et j'avais animé un atelier d'écriture... C'est dire que j'étais assez fatiguée, mais contente, de ma journée. Tout avait vraiment super bien fonctionné. Et on avait applaudi la qualité de notre accueil. Même la présidente du Conseil d'Administration avait l'air satisfaite.

J'aime bien qu'il y ait un peu de variété dans mon travail. j'ai toujours pleuré pour travailler dans un service de publications, et maintenant que j'y suis, j'aime bien ces journées de rencontres, sur des thèmes différents... L'accompagnement des personnes dans les hôpitaux, dans les prisons, la thématique du troisième et du quatrième âges, la santé, la fin de vie, les dépénalisations de la drogue, de la prostitution, de l'enthanasie, le mariage pour tous... (j'avoue que, parfois, j'ai un peu de mal, peut-être suis-je en effet un peu quoi encore? Pas rétrograde, non... C'est un autre adjectif que m'ont accolé mes collègues, mais c'est compréhensible, ce fut ma hantise de professeur... la drogue, pas la prostitution ni le reste, bien sûr...)

On nous donnait parfois des avis divergents - relatifs au sans-abris. "Dites-leur au moins bonjour..." - "Si vous n'avez pas d'argent, donnez-leur une tartine, une cigarette, un chocolat, bref, quelque chose." Ici, j'avais une assiette de sandwiches. Nous avons continué et puis, je me suis ravisée. J'ai dit à Emilien: "si tu allais lui demander s'il désire cette assiette de sandwiches?"  Et c'est ce qu'il a fait. Il m'a pris l'assiette des mains, il a rebroussé chemin, Je l'ai vu se pencher, discuter avec l'homme, je ne percevais pas leurs voix, et puis, l'assiette de sandwiches est passée d'une main à l'autre. Il est revenu vers moi, en souriant. "Qu'est-ce qu'il a dit?" lui ai-je demandé... "Rien" m'a-t-il répondu. "Je lui ai demandé si ça l'intéressait et il a dit oui." Et puis, il lui avait aussi donné une bouteille d'eau (et peut-être une pièce, que je n'aurai pas vue, bref...) Ca, c'est Emilien, il faut dire, il a toujours eu la fibre sociale, et en plus, il discute avec tout le monde. Tout le temps. Partout. Il lui arrive toujours des aventures hallucinantes.

Moi, je suis beaucoup plus timide...

Et puis, c'est comme ça. Nous sommes deux aventuriers da la ville. Je suis attachée aux pavés de cette capitale comme une moule à son rocher, comme un koala à son eucalyptus. Et lui, il adore les villes... Il ne fera que passer par celle-ci. Je ne le sais pas encore, un jour, il se fraiera un chemin à Pékin, et, comme le dira si bien notre fils, "déjà qu'il s'amusait bien ici, alors, tu penses, maintenant, avec un terrain de jeux comme Pékin à sa disposition..."  Mais nous n'en sommes pas encore là. Notre couple n'a pourtant plus beaucoup de temps à vivre, et je ne le sais pas encore, mais je devrais m'en douter. Il prend trop mal un tas de choses... Mon désir frénétique d'écrire, mon goût pour les rencontres littéraires, les aléas de la vie en association (bien que pour le moment, ce soit calme). Et je ne parle pas des périodes de chômage que j'ai connues... Ni tout ce que je dis comme sottises sans penser à mal. Et puis, peut-être bien que je ne le supporterai plus très longtemps non plus.

Avant ça, on s'est pourtant bien amusé. Dans le fond, ce qui me plaisait chez lui, c'était son originalité. Je suppose que c'est cela qui nous a fait durer si longtemps. Et puis et puis... Qui a écrit "l'amour dure trois ans..." ? Dans ce cas, il doit être mort depuis longtemps (l'amour). Pendant ce temps, nous les avons gravis, ces fameux escaliers de la rue des Degrés. J'en profite pour faire quelques fines allusions au policier Desgrez, un personnage historique, et à son avatar dans les films d'Angélique, avec le chien Sorbonne, le Poète crotté, les empoisonneuses et les marquises de la Cour des miracles, mais Emilien, c'est plutôt les Robots, Dune et la Guerre des Etoiles, donc, il me regarde comme si j'étais une Martienne, c'est bien le cas de le dire.

Et tout d'un coup, je me rappelle une autre brillante anecdote de notre histoire passée. Nous faisions nos courses avec le buggy du petit. Qui en avait déjà vu de toutes les couleurs. On accrochait les sacs de courses aux poignées. Ca pesait un peu moins lourd. Du coup, nous ne prenions pas les escaliers, nous faisions un détour. Un jour - particulièrement maussade - où le sac était particulièrement chargé, j'ai lâché les poignées de la poussette (c'est nous qui avions l'air de véritables clodos) et la poussette a basculé en arrière, avec le bébé, et non pas l'eau du bain et la baignoire, mais la protection contre la pluie, bien trempée, les doudous, l'enfant dormant à moitié et le sac des courses qui s'est vidé par terre comme par enchantement... Avec les pommes de terre, les spaghetti, les biscuits pour la panade, les bananes, tout ce qu'il faut pour les sandwiches, le café et les rouleaux, oui, même les rouleaux de papier w.c. et de Sopalin...

Tout à nos pieds.

Et voilà... « Nous étions debout sous la pluie, parmi les provisions de bouche. »

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Commentaires
P
Tiens, Élisabeth, je viens de découvrir Edilivres aussi... j'ai commandé un bouquin.
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P
Oui, Elise, il y a du vécu, bien sûr... cela clopait bien ! Avec la consigne. Merci pour ton passage.
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P
Oh Gwen :-) l'histoire de la poussette est authentique. Nous n'avions pas de voiture. Nous venions du métro... je ne sais pas ce qui s'est passé, on cherchait nos clés je suppose et tout s'est renversé. Le petit n'a pas eu de mal :-)
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G
J'ai bien aimé l'anecdote de la poussette qui bascule : pas évident à vivre cependant !
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E
Quelle imagination ! il y a peut être du vécu dans quelques endroits de ton récit. Bonne fin de journée, bises.
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Variations de regard
Variations de regard

Quartz Rose ou pas, je suis toujours Pivoine... Me revoici, avec, pour fil conducteur, des souvenirs de Bruxelles, des balades en d'autres lieux. Donc, musardons ensemble, un peu au hasard, nous verrons bien où nos pas nous mènent

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