Je m'en doutais, bien sûr. Encore en train de fumer, sans doute. Je me suis dirigé vers les toilettes des filles, j'ai frappé contre la porte, à ma grande surprise, aucun nuage de fumée n'embuait l'horrible endroit. Une des filles m'a ouvert ; impatient, j'ai demandé "mais qu'est-ce qui se passe ici? Vous savez bien que vous avez un contrôle pourtant!"
Elles me semblaient toutes fort énervées. Elles formaient un groupe compact, bruyant, au-delà duquel j'ai perçu un tirage de chasse, un claquement de porte, finalement, Samia s'est frayée un chemin et m'a apostrophé.

"Monsieur, c'est Sabine qui est malade..."

"Malade, comment malade..." ai-je murmuré... Et je l'ai vue apparaître, pâle, en effet, soutenue par deux amies. Alors, sans écouter les protestations, j'ai intimé l'ordre aux étudiants de se préparer à aller en classe et j'ai dit à Samia d'aller à l'infirmerie avec Sabine. Elles feraient leur interro plus tard, je ne pouvais -ni ne voulais- laisser ma classe en plan ou laisser Sabine seule.

Je ne sais comment j'ai donné cours, ce jour-là - heureusement que j'avais préparé ce contrôle - ou malheureusement, le temps m'a paru d'autant plus long. Finalement, la fin du cours a sonné, et je me suis rendu à l'infirmerie – en plus, je suis titulaire de ces élèves.

Quand je suis entré, Christine, notre infirmière, est sortie de la petite chambre où les élèves peuvent se reposer en attendant que les parents viennent les chercher -si besoin est- et m'a fait signe de venir m'asseoir à son bureau. Elle s'est assurée que la porte de communication était bien fermée et avec un air soucieux, a commencé..  "Il y a un problème, je pense..."

"Ah oui?" Un grand calme, comme annonciateur des pires tuiles, a fondu sur moi.
"Je ne peux pas faire grand-chose pour elle pour le moment, à part le morceau de sucre classique et la menthe, mais, au vu des questions que je lui ai posées et de ce qu'elle m'a répondu, Philippe, je crois pouvoir te dire que cette élève est tout bonnement enceinte..."

Je ne sais pas pourquoi, mais il m'a semblé tout d'un coup que ces mots, je les avais attendus, redoutés -espérés? De toute éternité. Non, ce n'est pas possible. Nul être censé n'espérerait cela. Et comme dans un songe, j'ai vu Christine sortir des dépliants de plannings familiaux, je l'ai entendue me poser des questions sur Sabine, (était-elle majeure ? Oui.) sur sa famille, (étaient-ils présents ? Non...) sur son type de vie.

Enfin, j'ai vu le moment où elle allait me demander si elle avait un petit ami...

Un petit ami ? Mon Dieu (et voilà, moi qui ne suis pas croyant, j'en arrivais à invoquer Dieu!)
Un petit ami...

J'étais bien placé pour savoir qu'elle n'avait pas de petit ami...

Du moins, pas au sens où on l'entend quand on prononce une question de ce genre.

2074cde645fb5b0fe23dd406a7763ff5

Annie Girardot dans "Mourir d'aimer" d'André CAYATTE.