Bleu de Chine
Je terminais hier par ce souhait rétroactif, j'aurais aimé être française (je n'en suis pas sûre en réalité), et faire khâgne et hypokhâgne, et l'Ecole du Louvre. Je me dis que je ne doute de rien quand je vois le programme des cours (et je ne parle pas des "prépas") et surtout le taux de réussite à l'examen d'entrée. Sur une moyenne de 2000 et des candidats, environ 500 et des de réussites. Je n'aurais eu aucune chance... Enfin, on peut rêver.
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Je suis abonnée à une page sur la vaisselle ancienne, les services de faïence et la porcelaine, une de mes passions, qui me ferait chiner plus souvent aux Petits Riens, si ce n'était pas si loin.
En remontant leur page, je trouve un articulet sur une auberge anglaise, "The Spaniards Inn", à Hampstead, le commentaire dit ceci, que je vais essayer de traduire approximativement:
"The Spaniards Inn, Hampstead, était fréquentée par Keats, Coleridge, Byron, Shelley, Joshua Reynolds et a été évoquée par Dickens dans "The Pickwick Papers".
Cette assiette (ou plat) Davenport date environ du milieu du 19 ème siècle."
Lorsque j'étais enfant, nous avions surtout de la vaisselle dépareillée. Des tasses et sous-tasses, au nombre de six, sans doute, au motif vaguement chinois, quelques tasses et sous-tasses à fleurs roses, qui ont une histoire, elles, un petit service à dessert, qui a disparu, il était assez fragile, mais joli (il m'en reste un bout dans une mosaïque que j'ai faite il y a des années), et bien entendu, les premiers éléments du fameux service Rusticana de Boch.
C'est le plat bleu de l'auberge Spanjard qui m'intéresse le plus, car les tasses pseudo chinoises -dont j'ignore totalement l'histoire, servaient à notre usage courant. Mon père et ma mère buvaient leur café au lait dedans (agrémenté ou non de chicorée), mon frère buvait son lait Stassano très très froid, du AA, car nous n'aimions pas le lait stérilisé, et je buvais aussi ce lait AA, malgré mes difficultés à le digérer (on ne savait rien sur l'intolérance au lactose et pourtant, mes parents auraient dû se douter de quelque chose, depuis l'époque du Pélargon... Un lait acide prédigéré - et j'ai fait la même erreur avec mon fils...)
Il y avait aussi ce que ma mère appelait nos goûters Louis Quatorzième. Soit ma mère, soit mon frère, venaient me chercher à l'école, ou à la dislocation du "rang", selon ma demande, et quand nous rentrions, le goûter était prêt.
Des tartines, au chocho (choco-miel, ou kwatta, puis plus tard, au nutella), plus rarement à la confiture, et puis, pour moi, carrément au pâté "crème" ou avec des rondelles de saucisson. Je fermais les yeux, en humant le parfum de fumure, et je cherchais à revoir le château-fort de Bouillon, le vieux musée de la vie ardennaise, je songeais à Robin des Bois, au Sanglier des Ardennes, bref, j'étais partie et je rêvais. Pendant que mon frère racontait ses journées. Je ne sais pas si je racontais les miennes, étant la petite soeur, qui n'avait pas trop voix au chapitre, et qui, de toute façon, était persuadée qu'elle avait mal fait, au pire, ou le moins mal, au mieux.
Mais ma mère nous écrasait aussi des bananes, avec du lait et du sucre, ou préparait du pain perdu, plus rarement des crêpes - ça, c'était plutôt le soir, un souper "crêpes". Quand il y avait du "bodding", une spécialité belge (chez nous, c'était du pain trempé dans de l'eau, puis essoré, puis mouliné au passe-vite, et enfin, mélangé à des oeufs, du rhum, des raisins, et du sucre, puis cuit pendant une heure au four), nous en mangions jusqu'à satiété. On adorait.
J'ai un excellent souvenir de ces goûters et c'est vrai que nous les faisions durer au maximum, peut-être pour retarder le moment de nous mettre aux devoirs et aux leçons. Mon frère montait dans sa chambre, étudier, lire, rêver ou baîller aux corneilles (expression de mes parents), et moi, j'avais ma place au "living", je devais ranger livres et cahiers, faire d'abord les devoirs, puis étudier les leçons. Le plus dur, c'était le néerlandais et la religion, après les problèmes d'arithmétique, les tares, les charges utiles, et les prix d'achat ou de revient chez les commerçants...
Naturellement, quand mon père rentrait et que nous nous remettions à table pour "souper", je n'avais plus du tout faim. Mais après le souper, rituellement, je partageais une pomme avec ma mère "une pomme par jour, c'est la santé pour toujours", ou, en hiver, des marrons, que nous faisions griller sur une plaque, sur le gaz.
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Les goûters de mon fils étaient plus folkloriques. Il se couchait par terre, devant la télé, avec des biscuits, de l'eau, son Morand (sa méthode d'orthographe), et il faisait le tout ensemble : les devoirs, regarder la télé, manger avec une main, jouer avec l'autre et chipoter encore sur ce qui se trouvait sur la table du salon avec un pied ou l'autre. Il a toujours été multi-tâches et malgré cela, récoltait entre 92 et 96% au bulletin (mais je veillais au grain).
Moi, cela me fait rire, qu'il adore chipoter à tout ce qui lui tombe sous la main, tout en parlant, encore aujourd'hui, sur le monde qui va comme il va, mais son amie trouve cette manière de vivre assez surprenante.
Et quand je goûte, aujourd'hui, je vais m'acheter un gâteau à 30% de préférence, au D***, et je mange carrément dans l'emballage, pour réduire la vaisselle, ce qui est un tort, car goûter pour goûter, autant le faire bien.
Et quand la Rose vient, nous buvons du thé, mais nous nous partageons le goûter... Dans l'emballage coupé en deux...