La Pêche Melba et "Beau Masque"
La tout à l'heure, je suis allée à la bibliothèque, d'un bon pas. Il fait un temps délicieux, bien qu'un peu gris. J'ai commencé par acheter deux parts de bodding bruxellois au marché de la place, une pour moi, une pour ma voisine, qui aime bien ça.
Puis, bibliothèque, puis je me suis dit qu'un petit café, sans CST, et une glace ne seraient pas du superflu. Je suis entrée là où je prends généralement mon café, il n'y avait que des vieilles dames (dont moi). Assise enfin, je regarde en face de moi et je vois un homme (un type, un gars, un mec, comme on voudra). Pas le genre qui fréquente habituellement l'endroit. Un homme brun comme toute la Sicile, aux traits burinés, aux yeux foncés, avec une barbe de cinq jours, en train de noter des choses sur un papier. Il n'était pas beau. Il était pire que beau. Il aurait pu avoir l'air d'un ouvrier, mais il était correctement habillé (je veux dire, pas en bleu de travail). Il adressait maints sourires à des clientes du café, mais pas à moi, parce que je prends toujours l'air de celle qui est dans la lune et qui ne voit rien.
En réalité, je pensais à Baudelaire et à sa Passante, (dans l'autre sens), et à Belmaschio, le Beau Masque de Roger Vailland dans le roman éponyme (vraiment éponyme). Un excellent roman. Il me rappelait mon ex-mari (dans la famille des bruns ténébreux) et un peu Rupert Graves en Alec Scudder, (dans "Maurice"), un Alec qui aurait 45 ans... (l'acteur a d'ailleurs une cinquantaine d'années, à présent). Bref. Tout ça en mangeant ma pêche 🍑 Melba. Une des clientes lui a fait offrir un café, ce que j'ai trouvé très drôle. Elle, je ne la voyais pas. J'ai continué à songer... par exemple, au père d'Élio, dans "Trouve-moi", qui rencontre une jeune femme inconnue dans le train qui va de Gênes à Rome... et qui l'épouse à la fin du chapitre.
Mais la vie n'est pas un roman... (d'Aciman).
L'homme en question attendait quelqu'un et un moment, il s'est levé et a filé... je l'ai vu de loin en train de retrouver son possible rendez-vous, et puis ils ont disparu. La cliente qui lui avait fait offrir son café est sortie à son tour en me faisant toutes sortes de signes de connivence, comme si le plus beau des hommes de toute la terre avait déboulé dans le quartier. Ça laisse des traces. Et je répète qu'il n'était pas beau...
Je me suis tout de même demandé pourquoi, à quarante ans, j'avais quitté (et donc laissé filer) un mari vraiment beau, lui, mais qui avait aussi de gros défauts. Cqfd. Et puis, la beauté, ça passe... entretemps, j'avais fini ma pêche Melba et mon café, j'ai payé et je suis rentrée, très pressée de raconter tout ceci... mais j'ai quand même pris le temps d'aller donner son morceau de "bodding" à ma voisine et de l'écouter me raconter sa vie...
Ps. Le "bodding" est un gâteau typique du Nord, de pain trempé dans de l'eau, puis essoré, puis additionné de rhum, de raisins, (ou de pommes), d'oeufs et de sucre et cuit longtemps et avec amour.