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Variations de regard
21 mars 2022

Le conte du lundi du Goût des autres (117)

C'est lundi, jour du conte du Goût des autres.

la passerelle

Où mène cette passerelle peinte par Toutounov?
Que traverse-t-elle?
Le savez-vous?
Si vous le savez, dites-le!
Si vous ne le savez pas, inventez-le!
J’essaierai de trouver où mène cette passerelle.
À lundi…

***

Cette passerelle...

Combien de fois ne l'ai-je pas franchie? Je ne saurais les compter. "Dans le Bois de la Cambre, un facile dimanche..."  Elle est une décoration dans un joli bois de ma ville. Un bois d'été, un bois d'enfance. Souvent parcouru. Le bois des étudiants, avec ses pelouses accueillantes, en mai et juin. Le bois des faux lacs, de la vraie patinoire et du ravin romantique, que les peintres bruxellois ont tant aimé.

J'entrais au bois de la Cambre par un sentier au bout de l'avenue Louise. Il y avait l'avenue Louise privée, ouverte dans mon enfance, fermée aujourd'hui. Il  y avait les deux anciens pavillons d'octroi, retirés de la porte de Namur, et transportés ici. Il y avait la fontaine Odilon-Jean Périer, le poète-frère que j'aimais, où le friselis d'eau parlait d'un verre d'eau glacée qu'un homme de vingt-trois ans offrait à ses amis. Et puis, il y avait un court sentier, qui nous menait tout de suite à une première route. Qu'il fallait traverser.

Puis, on se dirigeait vers le ravin. Le ravin et ses rocailles romantiques parfaitement artificielles. Le ravin et ses pentes hallucinantes, qu'on dévalait avec nos luges quand il avait neigé. Le ravin et son tunnel, que l'on ne pouvait emprunter, puisque des pierres s'en détachaient et qu'on avait toujours un peu peur, en cet endroit. Le ravin et ses sentiers à flanc de coteau, ses bancs ronds autour des arbres. On pouvait courir, au mépris des chutes, tandis que les parents empruntaient les chemins à petits pas prudents. Et jouer avec des enfants inconnus.

Il y avait les guinguettes, et la Patinoire. Les filles en jupe courte et patins à roulettes. Et le théâtre du Bois de la Cambre. Et la Laiterie, qui n'avait jamais été reconstruite, après que les flammes l'eurent dévorée. Et enfin, le lac, un lac artificiel, bien sûr, au-delà des immenses pelouses. Avec son île et son chalet Robinson, et son bac à traille... Il y avait des jours de fin d'été, d'un bleu et d'un vert somptueux, tels que je n'en ai vu que dans ce quartier-là. Il y avait les barques, chères au poète, et les mille vaguelettes de l'eau dans laquelle se reverbérait la diamanture de l'Or décomposé...

Il y avati - plus tard, les promenades avec un amoureux, qui vous parlait de cours d'espagnol. Il y avait les enfants, qui couraient à présent comme nous avions couru. Il y avait des promenades que je préférais à celle-ci... Il y avait aussi les trous de taupe dans lesquels il ne fallait pas tomber. Il y avait les marchands de glace, vanille, fraise, chocolat, moka, praliné... Et pistache. Il y avait les marchands de gaufres, les chiens qui courent...

Il y avait le lac gelé, en hiver, exceptionnellement... Quand tout était gris et que vos genoux étaient rouges de froid.

Et il y avait les sentiers secrets, où passaient les êtres étranges, ni hommes ni femmes, dont on ne savait rien, absolument rien. Ils, elles, iels. Le bois était un monde en soi, avec sa passerelle, sur une rivière fantôme, et la passerelle mènerait, peut-être, au fantôme de la forêt sonienne qu'un roi potentat, au XIXème siècle, avait décidé de faire aménager en bois romantique...

Il y avait le bois de la Cambre, et dans ses allées, mon frère, ma mère, mon père, mon fils, son amoureuse... Il y avait des amants d'un jour, des amies de toujours, des comédiens au théâtre, des retours nocturnes, il y avait l'avenue Louise, et ses galeries de peinture, Jean de Sélys-Longchamps, l'esclave dévoré par les chiens, le carrefour de la rue de l'Abbaye, l'arrêt du tram 94, et le retour à la maison...

" Dans le bois de la Cambre, un facile Dimanche,
Sous l'aile des pigeons cette île toute blanche,
Cette île, autour de quoi les feuillages et l'eau
Ferment dans le brouillard leur précieux anneau,
Ne vous est-elle pas, distraite citadine,
Comme, après le soleil, une pluie haute et fine
Nourriture du coeur et gage de santé?

Mes rames dérangeant un trésor argenté,
La barque obéissante échappe à son sillage.
Vous êtes mon ami, sylvestre paysage,
Vous êtes la dernière et meilleure raison
De qui ne connaît plus le dieu de sa maison. "

Odilon-Jean Périer, (Bruxelles, 1901-1928)

"Le Citadin", chez l'Auteur, 1924.

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Commentaires
A
Merci pour cette promenade au bois de la Cambre, au détour de ses chemins et au travers du temps. Sans oublier la fontaine Odilon-Jean Périer que tu m'as fait découvrir lors d'un parcours ensemble dans ce beau quartier!
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P
... deux petits-enfants ucclois :-) c'est une commune que j'ai assez bien connue. (Ma mère a voulu que nous y naissions ;-)
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P
Merci à vous... il y a finalement beaucoup de la dernière visite que j'y ai faite, cet été. :-)
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M
J'aime beaucoup votre texte. Depuis que j'ai deux petits enfants ucclois, c'est un endroit que je fréquente. Pour le moment, Julianne, la plus jeune, n'a pas encore trop peur des chiens qui s'y baladent sans laisse.
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P
Ah si les arbres et les bancs publics pouvaient parler, raconter, témoigner ;) en tout cas, toi tu en parles bien !
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Variations de regard
Variations de regard

Quartz Rose ou pas, je suis toujours Pivoine... Me revoici, avec, pour fil conducteur, des souvenirs de Bruxelles, des balades en d'autres lieux. Donc, musardons ensemble, un peu au hasard, nous verrons bien où nos pas nous mènent

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