Pour Lali, rubrique "En vos mots".
Je me souviens de sa main entourant ma taille. Ma taille fine de jeune femme.
Je me souviens sans cesse des jours heureux, de la maison comme un palais, des fleurs dans les vases, du parfum des roses, du violon qui égrenait Schubert... Je me souviens du thé qui refroidissait dans les tasses, de ses lèvres sur ma paume, des lèvres si douces, à peine ombrées de duvet.
Je me souviens de sa voix, dans le silence bourdonnant de l'été. Je me souviens de notre première fois, de ce premier baiser, du oui cérémoniel, du livre que je voulais écrire. Je me souviens exactement de la soie des coussins, du reps et des grosses fleurs du canapé. Je me souviens même des vers de Maeterlinck que nous aimions. Il fallait quelque chose de symbolique et de perdu à notre amour.
Je me souviens et le temps a passé. Ma taille s'est arrondie, les enfants sont venus. Ma taille s'est épaissie et pourtant, le thé fumait toujours dans les tasses et je serrais toujours des roses dans les vases. Et ces roses étaient tantôt d'un jaune pâle, tantôt d'une pâleur de dragée...
Mais un jour, alors que mon coeur, lui, n'avait pas vieilli, j'ai dû cesser de ressembler à cette image de rêve, à ce chromo du Temps jadis.
Alors, il est parti. "Et depuis, mon visage est pareil à la face des morts..."
J'achève cette évocation d'une main tremblante. Je respire à peine. L'atmosphère de la chambre est lourde, suffocante. Mais j'écris encore. Un peu. Et le reste du temps, j'attends. La joie, parfois, qui tourne dans la chambre - nos enfants, nos petits-enfants.
Mais j'attends aussi l'ombre, l'autre versant, l'inéluctable.
J'attends la mort et tout son poids de cendres et de feu dans ma main.
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