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Variations de regard
19 mars 2019

Chez Lakévio, le conte du lundi...

Je suis un peu en retard... Mais voilà, si j'y arrive, mon conte du lundi pour Lakévio et ses lecteurs...

A partir d'un portrait d'homme par Joshua Miels, il faut écrire un texte où placer la phrase extraite du "Lion" de Joseph Kessel (lu quand j'étais très jeune, mon premier Livre de Poche d'ailleurs)... Et qui décrit un des personnages, je suppose.

"Il est des hommes, lorsqu'on les aborde, avec lesquels les approches, les temps morts qu'exigent les règles de politesse, n'ont pas de sens, parce que ces hommes vivent en dehors de toute convention dans leur propre univers et qu'ils vous attirent aussitôt."

***

joshua miels 1

(c) Joshua Miels

Avec les Urban sketchers de Bruxelles, un groupe sympathique, où j'avais déjà repéré quelques têtes, je m'étais décidée à aller dessiner un jour entier dans le nouveau musée de l'Afrique de Tervueren, revisité. Nous étions encore secoués par les polémiques qui s'étaient élevées face au réaménagement de l'ancien musée dit du Congo. Et donc curieux de voir comment on avait remisé les pièces de collection sentant par trop son esprit de colonisation, et comment, en revanche, on avait introduit des oeuvres d'artistes contemporains congolais.

Cela se sentait dès l'ancien hall d'entrée, la grande Rotonde, où une sculpture géante d'Africain par Aimé Mpane, intitulée le Nouveau souffle ou le Congo bourgeonnant, voisinait avec d'anciens bronzes représentant des Africains dans diverses positions de travail...

Le gros de la troupe avait commencé à s'égailler dans les salles. J'avais mon bloc de croquis et des pastels. Les statuettes cultuelles me donnaient à réfléchir, car elles faisaient partie du patrimoine que les intellectuels africains d'aujourd'hui réclamaient à la Belgique. Des bribes de conversations me revenaient, réflexions de mes parents - sur leur séjour de deux ans environ, plutôt malheureux au Congo - d'amis qui y avaient séjourné, mais bien longtemps après l'Indépendance, survenue fin juin 1960... Les nombreuses crises qui avaient  jalonné les relations entre l'ancienne colonie et la Belgique, les événements dans l'ancien Katanga... L'horreur que nous inspirait encore le régime de feu le président Mobutu... Précédé du massacre de Patrice Lumumba.

Tout en dessinant, l'histoire tourmentée de nos deux pays s'entrechoquait et, dans mes dessins, je mettais du feu, de la rage, du désespoir, j'étais dans une autre dimension.

Mes souvenirs du musée étaient nombreux... Ma peur quand je l'avais visité avec mes parents, quand j'étais toute petite, les visites impromptues, quand nous faisions la "ligne des musées", en vieux tram, du musée du tram de Woluwé à celui de Tervueren, des visites pédagogiques, avec des classes de technique et de professionnelle...

Le temps passait et nous allions nous retrouver à la cafeteria où nous avions prudemment réservé une table. Qu'allions-nous manger? La traditionnelle moambe, chère aux anciens du Congo? Ou avait-elle disparu de la carte? Avant que j'aie eu le temps de réfléchir où m'asseoir, je me trouvai derrière le dos d'une des personnes du groupe. Il riait avec un ami dont la silhouette m'était aussi vaguement familière... "Il est des hommes, lorsqu'on les aborde, avec lesquels les approches, les temps morts qu'exigent les règles de politesse, n'ont pas de sens, parce que ces hommes vivent en dehors de toute convention dans leur propre univers et qu'ils vous attirent aussitôt."

C'est ce que ce premier dos me rappelait, a priori peu remarquable. L'homme était plus petit que moi, ses cheveux avaient blanchi, mais je l'aurais reconnu entre mille, à cette étrange absence de distance entre lui et moi... Nous  nous étions rencontrés, trente ans auparavant, et j'avais été emportée dans un maëlstrom qu'aujourd'hui encore, je ne parvenais pas à comprendre. L'avais-je réellement rejoint dans son univers? J'en doute. Néanmoins, il revenait parfois hanter mes rêves, et ces matins-là, je me levais avec plus de hâte que d'habitude, pour échapper aux fantômes de la nuit. Il avait modifié le cours de ma vie, ou je l'avais laissé en modifier le cours, mais le prix à payer avait été le prix du sang.

Et puis, j'avais - essayé du moins - de tourner la page. Mais il est des pages, parfois, qui "pèsent cent kilos" ...

En lui parlant, son voisin m'aperçut, et j'eus peur, soudain, car je le connaissais aussi - vaguement - depuis l'enfance. C'était une personnalité bruxelloise qui avait eu ses heures de célébrité et qui savait en user. Etant tous les deux des artistes, il n'était pas étonnant qu'ils eussent fait connaissance. Avant qu'il ne se retournât pour me parler et faire des présentations pour le moins inopportunes, je décidai de détaler et de quitter le groupe. Au moment où tétanisée, je prenais cette décision, "l'autre" se retourna et ses yeux s'agrandirent de surprise. Il m'avait quittée vaguement poète, écrivant avec lui, il me retrouvait apprentie artiste. Mon coeur se retourna et je pris mes jambes à mon cou... Je retraversai tous les couloirs, récupérai mon matériel, et sortis - bouleversée - dans le froid et la pluie.

Heureusement, il y avait les jardins de Tervueren, où je pourrais respirer, et reprendre mes esprits...

Et puis rejoindre le terminus du tram 44.

***

NOTE: ceci est une fiction complète, je n'ai pas encore visité l'Africa Musem, même si j'ai suivi tout ce qui a trait à sa réouverture. Mais j'y ai dessiné un jour avec des amis, un jour de mai 2006. Où je n'ai fait que de bonnes rencontres o;)

Au passage, je remercie Tania, du blog Textes et prétextes, (dont je ne peux que conseiller la lecture), de nous avoir fait un compte-rendu circonstancié et parfaitement documenté de sa première visite du nouvel Africa Museum de Tervueren.

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Commentaires
A
Pas encore visité le nouveau musée de Tervueren!
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C
Très! <br /> <br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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P
Coucou Célestine. Nooooon? C'est que c'est réussi alors ;-)
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C
Ah bon ? Une fiction ? J'y ai cru, moi, de bout en bout...<br /> <br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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P
Oui. C'est vrai, il y a une ressemblance. Pourtant je t'ai lue après. Je crois qu'on a toutes croisé ce style d'hommes (et ils n'ont pas toujours la tête de l'emploi. Ils ont parfois un air très banal ).<br /> <br /> Mais le tableau et l'homme du tableau m'ont ramenée à l'Afrique et au musée, exclusivement.
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Variations de regard
Variations de regard

Quartz Rose ou pas, je suis toujours Pivoine... Me revoici, avec, pour fil conducteur, des souvenirs de Bruxelles, des balades en d'autres lieux. Donc, musardons ensemble, un peu au hasard, nous verrons bien où nos pas nous mènent

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