Le devoir du Goût des autres...
C'est le 74ème devoir du Goût des Autres.
Que peut donc être en train de faire cette jeune femme, assise à son bureau, peinte par Carl Larsson ?
Le savez-vous ?
Je le sais parce que je la connais.
Je sais même que ça devrait commencer par :
« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ».
Et se terminer sur
« Et qu’il bruit avec un murmure charmant, le premier « oui » qui sort de lèvres bien-aimées. »
***
"Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue..." répéta-t-elle, tout haut dans la chambre.
Et puis "Je reconnus Vénus et ses feux redoutables!" Ah! Vénus... Mais qui donc était Vénus? Une déesse grecque, paraît-il.
Poursuivant ce sang et le plongeant dans des tourments impitoyables.
Cela paraissait simple d'étudier ces quelques vers. En vérité, la jeune Manuela les retiendrait toute sa vie. Depuis le temps qu'elle était assise dans sa chambre, à sa table, avec ses livres, ses cahiers, et qu'elle étudiait. Bientôt, elle devrait laisser ses chères études pour descendre et aider sa mère... Tant de frères et soeurs à vêtir, nourrir, promener... Tant de petites têtes blondes devant apprendre la langue maternelle, le calcul, les leçons de choses! Sans compter une maison à tenir, des repas à préparer. Un jardin. Et leur père, qui dessinait d'arrache-pied. Et que sa prolifique famille inspirait.
En descendant l'escalier, elle pensait que Fraulein von Berburg serait contente qu'elle ait si bien retenu ces vers... Elle aurait ce sourire lumineux, en regardant sa meilleure élève. Un peu énigmatique aussi. Et tellement complice, quand Manuela faisait courir sa plume sur ses cahiers... A toute vitesse. Plus vite, plus vite, plus vite ! Toujours plus vite! Il lui semblait n'avoir jamais assez de temps pour apprendre! Et l'écrire...
A toute vitesse. Papa peignait, vite aussi. Mais elle, elle aimerait écrire. Et dessiner. Les deux. En aurait-elle la possibiité? Faudrait-il se marier? Se marier, et donc avoir aussi des enfants (un, deux, quatre cinq, dix... Peut-être!) Ou au contraire, choisir un métier - comme celui de professeur? Enseigner dans une école de village? Ou dans un pensionnat sévère où la vie est tellement aride? Tant de questions à l'aube de la vie...
Racine était un choix. Fraulein von Berburg lui avait prêté ce livre, en lui disant qu'elle y trouverait "tout"... Tout quoi? Et qu'elle répondrait à ses questions - dans la mesure de ses moyens - s'il y avait quelque chose qu'elle ne comprenait pas.
En attendant, elle devait aussi apprendre un poème. Un poème d'un étrange poète français. Où il y avait des choses que tout le monde encensait... Et des choses dont on parlait tout bas, à mots couverts, incompréhensibles pour une jeune fille de dix-sept ans.
Mais, impatiente, elle disait oui aussi à ce livre-là... Quel qu'il soit ! D'avance... Oh! qu'on soit vite demain! Et qu'elle retourne à l'école pour réciter "Nervermore" .............. Elle savait bien, elle, que ces jours étaient les plus beaux jours de ce printemps !
- Ah ! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées !
Et qu'il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !