Chez Lakévio, le conte du lundi...
Et voilà la reprise des Lundis de Lakévio.
Réunissons nos idées et essayons d'écrire quelque chose... Sur l'emménagement dans une nouvelle demeure...
***
C'était un lieu délicieusement nostalgique que l'ancienne manufacture Royale de Villeneuvette.
Le nom même de l'endroit la ravissait. "Vil-le-Neuve-Ette" Et l'histoire du site. Puis l'architecture, si particulière. Les hautes maisons rapprochées, l'entourage de verdure, la majestueuses allée d'arbres, pour y arriver. Les lampions qu'on avait finalement laissés, dans la grand-rue. Les lanternes, aux angles des maisons.
La majeure partie de l'année il ferait beau. Parfois trop chaud, quelques branches noircies, courant sous les nouvelles ramures et les buissons encore humides de rosée, témoignaient d'anciennes périodes de canicule. Elle avait découvert l'endroit un jour d'octobre, encore humide, après une nuit de pluie et de mistral. Et soudain, elle en avait perçu toute l'âme.
Etrange héritage que lui avait laissé là sa vieille tante Agathe, qu'elle voyait parfois, enfant, quand ils passaient leurs vacances à Saint-Guilhem-le-Désert. Ils poussaient jusqu'ici et elle trouvait l'endroit - et sa vieille tante, bien sévères. Elle était contente de retourner à Saint-Guilhem, puis, après des vacances dont ils revenaient tous couleur de pain d'épices, elle remontait vers sa ville du Nord. Et l'on oubliait la vieille tante Agathe qui finissait tranquillement ses jours, là où ses ancêtres artisans avaient toujours vécu.
Le testament de tante Agathe mentionnait qu'elle pouvait vendre la maison. Ou louer. Elle était revenue dans ce but.
Mais les pavés des ruelles, la petite place. Les ateliers d'artistes. Et pourquoi ne lancerait-elle pas ce salon de thé, glacier, chocolaterie, auquel elle avait tant rêvé? Là? Ce rêve, pourquoi ne pas le réaliser?
Elle était à l'étage où avait vécu tante Agathe. Marie, sa fille, presque ado, furetait partout. Chassait une toile d'araignée. Elle inspecta la pièce à vivre d'un rapide coup d'oeil. C'était propre, assez propre, mais il y aurait du travail. Les couleurs ravissaient l'oeil, elle allait respecter les couleurs. L'acajou de ses quelques meubles s'y trouverait bien. Les murs, épais, protégeraient du froid de l'hiver et des étés violents.
Lorsque les boiseries furent réparées, les fenêtres remplacées, le plancher poncé et repeint, les murs remis à neuf, Violette emménagea avec sa fille, Marie. Les amis et connaissances avaient aidé au déménagement. Son ex-compagnon boudait un peu. Il n'avait aucune envie de se retirer dans ce trou perdu. Pour y faire quoi? Il ne se voyait pas rachetant un champ d'oliviers ou des hectares de vignes. Ou se métamorphosant en apiculteur. Mais que faisaient-ils ensemble, Violette et lui?
Son truc à lui, c'était l'informatique. Les Services. Pas le secteur primaire.
Tant pis. Violette avait pris sa décision. le secrétaire était casé, des étagères pour ses livres de pâtisserie couraient partout. Chaque meuble avait fini par trouver sa place. Dans leurs chambres aussi. Il restait à déballer les cartons, mais elle avait le temps.
Alors, elles se rendirent dans la cuisine, envisagèrent les cartons les plus importants, ceux marqués d'une pastille couleur moka. Violette commença à disposer les saladiers, les plats ronds et ovales, les compotiers, plats à fruits et biscuits (tous dépareillés) sur les étagères. L'eau coulait fraîche sur la pierre d'évier, qu'elle avait voulu conserver, et doucement, elle sortit ses réserves de cacao - maigre, cru, estampillé bio - les différents sucres, de canne, blanc, en morceaux, les pots de miel, les fleurs enrobées de sucre... Les épices.
En bas, dans la cour, dans ses vases et pots de terre cuite, elle soignerait son caféier bien aimé, celui qui ne donnait pas de graines, elle planterait des fleurs aromatiques, pour créer des combinaisons de fourrages intéressants. Et des tisanes délicieusement rafraîchissantes. Ou reconstituantes...
***
Des mois et des mois plus tard, par un matin d'octobre pluvieux, elle ouvrit la porte à deux visiteuses transies de froid, qui s'installèrent dans un angle du salon de thé déserté, et commandèrent un copieux petit déjeuner.
Elle leur fit goûter d'un pot de miel. "Mon miel" dit-elle fièrement... Le miel de lierre de Villeneuvette, crémeux, que lui récoltait tout spécialement un ami apiculteur...
La conversation s'engagea et elles parlèrent longuement de l'histoire de Villeneuvette, des bâtiments attendant encore restauration, d'un escalier rouillé planté droit vers le ciel, et de pétales de roses flottant doucement à la surface d'une fontaine, miroir infini de gouttelettes sonores et d'histoires d'amour anciennes.