Lettres de la comtesse de Ségur à son éditeur.
Il y a quelque temps, je lisais certains échanges sur la "littérature de gare (sic"), et les propos, un peu à l'emporte-pièce, que l'on tient souvent sur cette littérature.
Or, je venais de lire des lettres de la comtesse de Ségur adressées à son éditeur. (Oeuvres complètes, Robert Laffont, collection Bouquins, volume I).
Il s'agit de M. Émile Templier, gendre de Louis Hachette, plus particulièrement chargé des relations avec les auteurs, et fondateur de la célèbre bibliothèque Rose.
Dont une lettre avec une demande qui m'intéresse.
Correspondance entre la comtesse de Ségur et son éditeur.
Extrait de la lettre du 31 mars 1858, lieu non précisé.
(...)
Je vous demanderai de bien vouloir m'envoyer
5 volumes de mes Contes, cartonnés,
5 idem brochés
10 volumes de la Santé des enfants, cartonnée.
Et le catalogue des livres de la bibliothèque des chemins de fer, on me dit qu'il en a paru récemment plusieurs fort jolis."
Une bibliothèque des chemins de fer ? Je suis allée voir de quoi il retournait. Cette bibliothèque des chemins de fer était également éditée par Hachette. Le cher éditeur de la comtesse de Ségur. Voici un extrait du catalogue des livres de littérature française:
Exemple de romans français :
ROMANS ET CONTES.
Ernestine — Caliste — Ourika (Mmes Riccoboni, de Charrière et de Duras). 1 fr. 75
Eugénie Grandet (de Balzac). 2 fr. 50
Graziella (de Lamartine). 1 fr. 50
La Bourse (de Balzac) 50 c.
La Colonie rocheloise (l’abbé Prévost). 1 fr. 50
Les Oies de Noël (Champfleury). 1 fr.50
Palombe (J. B. Camus) 1 fr. 50
Paul et Virginie (Bernardin de Saint-Pierre). 1 fr. 25
Scènes de la vie politique (de Balzac) 50 c.
Ursule Mirouet (de Balzac). . 2 fr. 50
Zadig ou la Destinée (Voltaire). 1 fr.
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Cette correspondance pleine d'urbanité dans les demandes adressées à M. Templier, (avances financières sur les premières mises en vente, envois de volumes - la comtesse avait droit à 50 volumes de chacun de ses livres édités, et aurait aimé que ce nombre montât à 75 - indications quant aux reliures, illustrations et présentation typographique des ouvrages), est très intéressante.
On apprend ainsi qu'elle regretta les importants remaniements exigés pour les "Mémoires d'un âne". Et que le livre fut long à éditer... Au point qu'elle pensa s'adresser à une autre maison.
"Je n'ai pas encore pu trouver un moment pour revoir mon pauvre âne que vous avez si malmené." (16 février 1859).
Pendant quelques mois, le sort de 'son âne' l'inquiéta - jusqu'en décembre de la même année, alors même qu'elle surveillait l'édition des Vacances (elle refusa le titre 'les vacances de Sophie' trouvant que ce sont tout autant les vacances des autres enfants.)
Autre changement de titre: 'François le Bossu' fut d'abord 'le Petit bossu'. Et la comtesse écarta 'le Bossu'.
Elle dut également faire face à de la censure... pour "L'Auberge de l'Ange gardien". Il ne pouvait y avoir trop d'allusions à un avenir sentimental ou amoureux des personnages.
Enfin, dans la lettre numéro 65... Une demande révélatrice du succès de l'oeuvre commencée quelques années plus tôt.
"Paris, 15 février 1864.
Cher Monsieur,
je dois offrir mes oeuvres au Prince Impérial (alors âgé de sept ans. Autour de lui s'était cristallisé l'amour de l'enfance, symbole de l'espoir et de l'avenir, et toutes les idées nouvelles sur l'éducation et la famille, (Ndl'E).
Auriez-vous l'obligeance de m'en faire relier un exemplaire des onze volumes parus; il faut que ce soit en rouge avec les armes Impériales d'un côté et des abeilles de l'autre côté. Je voudrais bien vous parler à ce sujet, car je ne veux pas faire de grands frais de reliure; quelque chose de convenable à 2 ou 3,- F. le volume. La tranche devra être tranche peigne et non doré, c'est difficile et ennuyeux à décoller, les feuilles tiennent ensemble et un enfant n'en viendrait pas à bout.
Mille compliments affectueux.
Ctesse de Ségur.
Si la tranche peigne ne va pas avec le rouge, on pourrait mettre une reliure cuir de Russie clair; ou La Vallière; c'est fort joli. (Maroquin dont la couleur est à peu près celle que l'on appelle 'couleur feuille morte' - Ndl'E)
Je suis pressée d'avoir les livres. L'Impératrice les attend. Il faut que les onze volumes soient placés dans un carton recouvert de papier maroquin également avec les armes de l'Empereur au dessus. Ce sera plus élégant qu'un paquet ficelé."
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Note concernant les illustrations des romans de la comtesse de Ségur; Horace Castelli, (1825-1889) était un graveur sur bois et illustrateur français qui fut l'illustrateur préféré de la comtesse de Ségur et, apparemment, de ses jeunes lecteurs.
la comtesse de Ségur jeune.
Camille et Madeleine de Malaret, les "petites filles modèles"